jeudi 26 août 2010

Andromaque - Jean Racine

Extraits de la PREFACE:

"Voilà, sans doute, la moindre de vos excellentes qualités. Mais, c'est la seule dont j'ai pu parler avec quelque connaissance: les autres sont trop élevées au-dessus de moi. Je n'en puis parler sans les rabaisser par la faiblesse de mes pensées, et sans sortir de la profonde vénération avec laquelle je suis, Madame, le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur."

"Et Aristote, bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages tragiques, c'est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne soient ni tout à fait bons ni tout à fait méchants. Il ne veut pas qu'ils soient extrêmement bons, parce que la punition d'un homme de bien exciterait plutôt l'indignation que la pitié du spectateur; ni qu'il soient méchants avec excès, parce qu'on n'a point pitié d'un scélérat. Il faut donc qu'ils aient une bonté médiocre, c'est-à-dire une vertu capable de faiblesse, et qu'ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester."

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REPLIQUES DE PYRRHUS

"Seigneur, tant de prudence entraîne trop de soin.
Je ne sais point prévoir les malheurs de si loin."


"Hé quoi! votre courroux n'a-t-il pas eu son cours?
Peut-on haïr sans cesse? et punit-on toujours ?"


"Hé bien, madame, hé bien, il faut vous obéir:
Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr.
Oui, mes voeux ont trop loin poussé leur violence
Pour ne plus s'arrêter que dans l'indifférence;
Songez-y bien: il faut désormais que mon coeur,
S'il n'aime avec transport, haïsse avec fureur."


"Après cela, Madame, éclatez contre un traître,
Qui l'est avec douleur, et qui pourtant veut l'être.
Pour moi, loin de contraindre un si juste courroux,
Il me soulagera peut-être autant que vous.
Donnez-moi tous les noms destinés aux parjures:
Je crains votre silence, et non pas vos injures;
Et mon coeur soulevant mille secret témoins,
M'en dira d'autant plus que vous m'en dirai moins."

REPLIQUES D'HERMIONE

"Quelle honte pour moi, quel triomphe pour lui,
De voir mon infortune égaler son ennui!"

"J'ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu,
Tu me rapporterais un coeur qui m'était dû.
Je t'aimais inconstant; qu'aurais-je fait fidèle?
Et même en ce moment où ta bouche cruelle
Vient si tranquillement m'annoncer le trépas,
Ingrat, je doute encore si je ne t'aime pas.
Mais, seigneur, s'il le faut, si le ciel en colère
Reserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,
Achevez votre hymen, j'y consens; mais du moins
Ne forcez pas mes yeux d'en être les témoins."

REPLIQUES D'ORESTE

"Non, non; je le connais, mon désespoir le flatte:
Sans moi, sans mon amour, il dédaignait l'ingrate;
Sas charmes jusque-là n'avaient pu le toucher:
Le cruel ne la prend que pour me l'arracher."

"Hé bien! Filles d'enfers, vos mains sont-elles prêtes?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?
A qui destinez-vous l'appareil qui vous suit?
Venez-vous m'enlevez dans l'éternelle nuit?
Venez, à vos fureurs, Oreste s'abandonne.
Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione:
L'ingrate mieux que vous saura me déchirer;
Et je lui porte enfin mon coeur à dévorer."

samedi 21 août 2010

De l'art d'ennuyer en racontant ses voyages - Matthias Debureaux

"Les voyages, ça sert surtout à embêter les autres une fois qu'on est revenu." Sacha Guitry

"Ceux qui ont fait le tour du monde peuvent faire durer leur conversation un quart d'heure de plus." Jules Renard

"Chiant qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage."

"Mais qu'est-ce qu'un voyageur? "Un homme qui s'en va chercher un bout de conversation au bout du monde" répond Jules Barbey d'Aurevilly. Dès 1890, un manuel britannique de bonnes manières met en garde le gentleman: "Si vous avez voyagé, ne l'étalez pas dans votre conversation à la première occasion. N'importe qui, avec de l'argent et du temps libre, peut voyager."

"Quand quelqu'un se rend compte que sa vie ne vaut rien, soit il se suicide, soit il voyage." Edward Dahlberg

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"Rhéabilitez le mythe du bon sauvage. Ne tarissez pas d'éloges dur la gentillesse de la population locale. Une gentillesse qui se voit dans le regard. Des êtres terriblement attachants, pleins de joie de vivre, agréables et disponibles pour les discussions, très dignes dans leur misère et qui ont un grand nombre de leçons à donner à nos sociétés dites "développées". Osez les métaphores: "Aux Philippines, les gens ont des papillons de bonheur sur l'épaule." Puis confessez que c'est quand même autre chose que la tête des gens dans le métro."

Offrez quelques clés pour mieux appréhender la connaissance des peuples: les Italiens adorent les enfants, les Cubains ont le sens de la fête ou les Russes ont une bonne descente."

"Comme dans le journal d'Andy Warhol, déclarez le montant de chaque dépense. Détaillez les prix dérisoires (en doll' pour faire cool) de vos repas, coupes de cheveux, nuits d'hotel ou de vos souvenirs "coup de coeur" telle cette paire d'espadrilles guatémaltèques acquise pour le prix d'une glace. Cela prouvera votre aptitude à vivre comme les locaux et votre remarquable sens des affaires."

"Prétendez, en bon déffricheur d'espaces, avoir lancé la vogue d'un pays. Revendiquez sa découverte bien avant l'arrivée des hordes de touristes. Concluez en regrettant que vous ne le reconnaissez pas aujourd'hui et n'y retrouvez pas l'énergie et la fraîcheur d'antan."

"Soyez vif. Entraînez-vous à résumer tout à trac une ville en trois images. Ex: "New York pour moi? Tour de Babel, jogging, gospel." Puis brodez autour de mots-clés comme "cosmopolitisme", "mosaïque" ou "brassage ethnique". Des termes supperposables à la cuisine, la musique, la culture ou la population."

"Péchez par omission afin de ne pas décevoir. Oubliez de mentionner le présence de distributeurs de billets sur l'île de Paques."

"Imitez la rhétorique du guide du Routard. Fleurissez votre compte rendu de "rien que ça!", "il fallait y penser!", "pas folle la guêpe", "véridique!"..."

vendredi 20 août 2010

Les Martagons - Dominique Noguez

"Elle eut même de ces phrases qu'on retient, qu'on se murmure seul, qui font espérer."

"On revint sur mai 68.
-Une sublime libération des moeurs bétonnée en ordre moral stalinien, confisquée par les cloportes de la langue de bois, par les brillants autodécervelés du maoïsme normalien, dit Vlad".

"Et tandis que Baba faisait signe à la serveuse de ramener une bouteille, on partit dans l'une de ces bonnes vieilles discussions sur Dieu sans lesquelles il n'est pas de dîner entre amis digne de ce nom. Dieu est mauvais, c'est le diable, soutint Baba. Faire le bien, c'est se révolter contre lui. Ainsi la vie humaine a un sens: en luttant contre le mal, petit à petit, bouter Dieu hors de sa création et arriver à un monde bon."

"-Qu'as-tu, cher, contre les tags? Fit Vlad. Ne sont-ce point les hiéroglyphes de la modernité urbaine, la pathétique signature des anonymes et des déclassés, l'appel, le cri plastique de ceux que personne n'écoute?
-On n'entend qu'eux! dit Baba. Et "plastique", j'en doute. Il faut demander à Julien. Il paraît qu'on en a exposé dans des galeries. Ce n'était certainement pas les gribouillis qu'on voit dans le métro! La plupart, en tout cas, s'ils appellent, c'est plutôt comme les chiards qui barbouillent les murs de leur caca pour attirer l'attention de papa-maman. Ils appellent surtout la fessée.
Julien, interpelé, répondit à son tour.
-A quelques fresques près, qui peuvent intéresser les collectionneurs de graffitis cocasses ou d'ornementations naïves, ce qu'on voit aujourd'hui sur les murs, les plans d'autobus ou les sièges de trains de banlieue a à peu près autant d'intérêt artistique que les crottes de pigeon sur les statues ou les troitoirs: pauvres, désespérément répétitifs et surtout copies serviles de ce qui s'est fait ailleurs il y a longtemps. Aucune créativité là-dedans. Sinon dans les efforts de deux ou trois critiques d'art démagos et retardataires pour faire prendre, il y a quelques années, ces vessies pour des lanternes.
-Moi, ce qui me frappe, dit Fleur, c'est à quel point ces gribouillis prétendument subversifs font bon ménage avec le "libéralisme" le plus sauvage. Vous remarquerez que les courageux graffiteurs anonymes ne s'en prennent à peu près jamais aux publicités commerciales, aux fastfoods, aux temples de la marchandise que sont les Virgin ou autres CD Book Hyperstore et presque toujours, sinon exclusivement, à tout ce qui peut paraître relever du domaine public - université, monuments, métro, etc. Dans cette idéologie de la privatisation à outrance, tout bien collectif est réputé inférieur et saccageable à merci."

"Le ciel, ce soir, est clair comme un désastre,
Liquide et vide au-dessus des maisons,
Pas un oiseau, tout est plat, pas un astre
,
Tu n'es pas là, rien n'a plus de raison."

"D'avant-garde, beaucoup le sont, mais au sens où le pet est l'avant-garde de la colique."

"Il faut être bien naïf pour croire au bien, même à petite dose. N'y aurait-il que ces deux scandales, dont la découverte rend, hélas! adulte: la non-réciprocité de l'amour et l'immortalité de l'Etat."

mardi 17 août 2010

Camping Atlantic - Ariel Kenig

"Je la console vaguement, je la remercie pour cet après-midi et devant le panneau de la réception, je lui souhaite bon courage, longue vie, santé et tout ce que l'on souhaite si facilement à ceux que l'on ne reverra pas."

"Le temps des mouchards est calibré. Un temps si bien cadencé qu'aucun d'eux, jamais, et jusqu'à sa mort, ne s'imaginerait sur un autre rythme. Ca rape, ça colle, ça pleure, ça ne bronche pas. La vie de mouchard pauvre est bien la pire de toute. Jamais vous ne fréquenterez les enfants d'un autre âge et jamais vous ne vivrez la nuit, serez propre, beau et apprêté, jamais vous ne vous branlerez sans devenir sourd, jamais vous ne boirez de crus classés. Vous n'échapperez pas au foot, ça rassure toujours la virilité d'un père, et vous n'aimerez votre famille autrement que sans imaginer votre avenir en son sein, sans silence et sans tendresse. Vous ne deviendrez jamais autre chose que pompier, facteur, instituteur ou vétérinaire.
Vous, peut-être, oui, vous, n'avez pas grandi dans un camping et m'affirmerez qu'il est toujours concevable de s'épanouir en discutant, en lisant, en errant et surtout, en désirant les hivers, les étés à venir dans les yeux de ceux qui, maîtres ou sages, savent en parler. Mais au milieu d'un camping pris d'assaut, il n'est pas rare de se dire qu'il n'y a personne."

"Ma grand-mère disait C'est fou, quand on part en vacances, comme ce qui nous appartient nous appartient plus encore."

"Y'a bien des vieux, quelque part, qui portent en eux de la douceur. Un truc désirable, quoi. Dans le fond, je trouve ça très beau, de vieillir. Quand t'es pas dans l'aigreur, que tu fais des rides à ta manière."

"La stratégie du plouc, c'est de "rester naturel", de revendiquer "son choix parce qu'il pense comme ça. "Etre lui-même." Etre mieux que lui-même, ça, non, c'est abject. Ca le fatigue d'avance, le progrès de soi - autant que ça me saoule de débarrasser la table quand j'ai préparé la sauce salade. Il préfère la facilité du "contre". Contre l'argent, la drogue et les Allemands. Contre le sexe et la mort."

vendredi 13 août 2010

Montserrat - Emmnuel Roblès

REPLIQUES DE MONTSERRAT:

"Je suis avec vous contre les miens, contre leur oppression, leurs violences, contre cette manière terrifiante qu'ils ont de nier les hommes... Vous le voyez bien que, pour eux, la vie humaine, la dignité humaine ne comptent pas !"

"Bolivar ne s'appartient plus à présent. Il appartient tout entier à la cause qu'il a lui-même fait surgir par dessus des milliers de morts."

"Même si je n'avais pas foi dans la promesse du Christ, je ferais mien le combat de Bolivar! Il s'agit de rendre à des milliers de misérables leur dignité de créature de Dieu."

"Tu es loin de Dieu, Izquierdo. Un jour, tu auras soif de Dieu! Tu le chercheras! Mais il y aura, entre toi et lui, cette mer de sang, ce fleuve de larmes! Tu mourras désespéré! Tu auras une agonie atroce!"


REPLIQUES D'IZQUIERDO:

"Je crains fort que ces pauvres gens ne meurent contre leur gré pour la Liberté, la Justice, la Dignité humaine. Les grands principes sont comme les grands cataclysmes. Ils font toujours une effroyable consommation de créatures!"

"On aimerait écraser à coups de talon cette tête où les mots s'enfoncent comme des balles dans la chair morte."

"Que veux-tu? Il y a des gens sans orgueil qui se résignent à végéter sous notre domination plutôt que de recevoir douze balles dans la poitrine. Ils préfèrent vivre avilis sous notre botte que mourir glorieusement pour la Liberté..."

"J'ai attendu en vain un signe, une présence en moi quelque chose qui m'aurait révélé que nous ne sommes pas seuls, condamnés avec notre propre chair."


REPLIQUES DU MOINE:

"Garde donc en toi les sentiments qui étaient ceux du Christ aux mains de ses bourreaux! Ainsi tu seras sauvé! Car tu sais que le ciel et la terre passeront, que tout ce qui nous entoure sera poussière un jour, mais que seule la gloire de Dieu est éternelle!"

jeudi 12 août 2010

Mammifères - Pierre Mérot

"Chaque être a visiblement une tendance à émettre des jugements sur les autres, généralement négatifs, et à raisonner en termes de hiérarchie. Le but de celui qui raisonne ainsi est bien évidemment de dominer les autres, ou de croire qu'il les domine."

"Peut-être jugera-t-on que l'oncle n'est que vinaigre, qu'il est de mauvaise foi ou qu'il manque de nuances. Certes... mais il se considère aussi comme une espèce de Parque bienveillante et rebelle qui veille lointainement sur le destin des siens, avec d'autant plus de complicité qu'il est issu du même moule risible, douloureux, et terriblement humain."

"L'once n'aime pas trop la prostitution, non pas par rigidité morale mais par manque d'argent."

"Les Suisses racontent souvent des histoires de cheminée quand il sont entre eux."

"Cette première expérience de la vie active grava dans sa chair la certitude qu'il était mortel."

"Les éditions Ubu sont nées dans les années 1970. Comme d'autres petites structures fondées à cette époque, elles veulent se démarquer des grandes maisons, elles revendiquent leur différence. Chez Ubu, on différait énormément. D'ailleurs, dans son bureau, le père Ubu chantait à tut-tête: Nous différons ! Nous différons tous nos paiements!"

"Tous deux se sentaient traqués dans une forêt sociale, obligés de changer de cache régulièrement. Juste avant qu'on ne s'apperçût de leur inappétence."

"Qu'est-ce qu'un chef d'entreprise? C'est quelqu'un qui veut vous faire travailler douze heure par jour pour le prix de six. Il critique l'Etat et l'Administration, tout en mendiant des subventions. L'unique raison d'être de sa fabrique de bidets et de faire vivre dans l'opulence une famille d'imbéciles. Les enfants ont chacun leur voiture, ratent trois fois leur bac, séjournent longuement aux Etats-Unis, et vous regardent de haut."

"Qu'est-ce qu'une démocratie? c'est un système politique dans lequel des citoyens informés intensément, profondément lucides et parfaitement désintéressés, élisent comme représentant un homme qui gagne en un an ce que la plupart d'entre eux n'auront pas en une vie. De plus, c'est généralement un escroc qui se soustrait à la justice."

"Malheureusement, beaucoup d'hommes ont deux couilles: l'une pour leur mère, l'autre pour leur femme, et aucune pour eux."

"Les plus grandes putes sont les enseignants qui font bloc autour du principal. La plupart ont entre 25 et 30 ans. Ils viennent du "triangle pédagogique". Ce triangle vérolé produit des ministres démagogues, des inspecteurs lâches et arrivistes, des pédagogues dogmatiques, des enseignants incultes, des cyniques, des imbéciles... Quelles sont les méthodes des putes? Leurs élèves apprennent des choses complexes. En troisième, ils recopient des listes de vocabulaire ou colorient des figures géométriques sur de magnifiques cahiers. Les putes adorent les cahiers. Les élèves sont prévenus: un cahier mal tenu obtiendra nécessairement la note de douze sur vingt. Les putes sont aussi friandes de débats sur le foot, sur la violence, sur le Val-d'Oise, sur tout ce qu'on veut. C'est important l'oral. Les élèves réussissent bien à l'oral. Pas moins de quatorze à l'oral. Les moyennes chez les putes sont donc excellentes. (...) "Prenons le cas de Fatima", explique Monsieur Pute. Fatima a treize ans et est en sixième. Certes, elle est analphabète. Mais sont cahier est assez bien tenu. Et à l'oral, elle est très vivante. Elle a 12 avec Monsieur Pute et 1 avec Monsieur Très Méchant. Elle aime beaucoup Monsieur Pute qui a su reconnaître ses grandes capacités à l'oral. C'est vrai qu'elle parle tout le temps avec ses voisins. Elle est très mondaine Fatima. Comme elle ne comprend rien, il faut bien qu'elle s'occupe. L'oncle l'aime quand même bien la grosse Fatima. Elle a bon coeur. Elle apprend très activement son futur métier: elle est toujours volontaire pour ramasser les papier par terre, nettoyer les tables, ou ranger les chaises à la fin de la journée."

mercredi 11 août 2010

Ce n'est rien qu'un président qui nous fait perdre notre temps - Thomas Legrand

"Le sarkozysme est une construction de circonstance et d'opportunité qui se donne des airs de doctrine et qui ne résiste pas à la réalité française, à ses équilibres chèrement et longuement acquis. Ce qui était présenté (par le sarkozysme) comme un "tabou" ou un "conservatisme" n'était rien d'autre qu'un consensus, un élément constitutif de la tradition républicaine à laquelle les Français sont attachés, consciemment ou non."

"La France se remettra du sarkozysme et de l'antisarkozysme. Elle les digère déjà. Le sarkozysme, ce n'est pas une idée, c'est une ambition. Il ne faut pas écrire "sarkosIsme" avec un "I" mais "sarkozYsme" avec un "Y". SarkozIsme voudrait dire qu'il y a une pensée, un corps de doctrine, une vision pour l'avenir du pays. Le suffixe "isme" se mérite. "Ysme" suggère que le sarkozYsme n'est finalement rien d'autre que l'accumulation des faits et gestes et dires de Nicolas Sarkozy. Son pendant, l'antisarkozysme: les faits et gestes et dires de tous ceux qui pensent que le sarkozysme est dangereux. Ceux-là ne font pas la différence entre un I et un Y !"

"Il fallait ménager le flou. Le flou créateur de malentendus. Les malentendus créateurs de polémiques. La polémique créatrice de clivages. Les clivages qui génèrent le conflit. Le conflit qui, seul, peut amener une victoire politique lisible. Toujours la même logique de l'opacité et de l'affrontement."

"Les commentateurs de la vie politique se trouvent dans la situation de leurs confrères sportifs devant un match de foot au cours duquel le joueur vedette de l'équipe de France monopoliserait le ballon pour s'épuiser en figures incroyables. Il faudrait s'extasier, applaudir la dextérité de l'artiste, la précision du jongleur ou bien dénoncer la frime, le jeu perso et l'accaparement. Puis constater à la mi-temps qu'il n'y a toujours pas de but marqué. Rien."

"A mi-mandat, on attend la grande réforme. Au-delà d'une parole effrénée emprunte de volontarisme, on cherche LA rupture, LA modernité, LA gouvernance modeste et transparente. Que sont devenus les marqueurs idéologiques du sarkozysme, le "travailler plus pour gagner plus" (impraticable), la "discrimination positive" (oubliée), la "réforme de la Françafrique" (même pas essayée), l'"immigration choisie" (infaisable), la "politique de civilisation" (disparue), le "Grand Paris" (une ligne de métro)? Ce n'est rien, Nicolas Sarkozy ne représente donc pas un danger pour la République. Il n'est qu'un Président banalement de droite, un pragmatique opportuniste dont le ton péremptoire n'a d'égal que sa capacité au revirement. Une perte de temps pour la modernisation de la vie politique française. Un Jacques Chirac en sueur, le dernier Président du XXeme siècle."

mardi 10 août 2010

Les Exclus - Elfriede Jelinek

"Quand tu opposes une telle résistance à mes incursions dans le royaume de la photographie, j'ai envie de te défoncer le crâne."

"Quand Anna voit quelque chose de blanc, elle a aussitôt envie d'y faire une tache. Anna est sans cesse obsédée par des choses désagréables qui accèdent à son cerveau par une voie à sens unique. La barrière mobile se lève toujours dans la même direction. Ca rentre mais ça ne ressort jamais, toutes ces choses désagréables se bousculent dedans, et la sortie de secours est barricadée."

"Merde pour la classe ouvrière et vive le rock'n roll."

"Ce n'est pas pour l'école qu'on apprend mais pour la vie, plus on apprend, plus on vit."

"En tous deux règne une confusion des sentiments caractéristique des jeunes gens qui ne se sont pas encore trouvés eux-mêmes et n'ont pas encore trouvé de place dans l'économie moderne."

lundi 9 août 2010

Les pieds dans l'eau - Benoît Duteurtre

"J'aime ces jolies demeures et ces campagnes d'autrefois où je peux m'inventer une élégante bohème au parfum périmé."

Sur les années 1960-1970:
"Babas cool, junkies, trotskistes, maoïstes, anarchistes... Toutes ces voies se voulaient alors prometteuses. En liquidant le monde ancien, nous marchions sûrs de nous, vers une société meilleure, avant que la modernité ne révèle sa noire litanie de chômage, pauvreté, sida, désastres écologiques, décomposition sociale, liquidation du bien public. Nous rêvions d'un échange foisonnant, d'une humanité sans frontières, avant que le rêve ne s'accomplisse, d'une autre façon, , dans le triomphe du marché universel et du tourisme de masse. Nous pensions bâtir un futur enchanté, quand nous nous contentions de nettoyer le vieux terrain national et religieux, comme pour faciliter l'avènement de la nouvelle industrie culturelle mondiale et de ses produits formatés."

"Mais le rêve d'amour avait fait place au harcèlement mutuel qui occupe souvent les vieux couples."

"cette arrogance des gamins privilégiés qui ne sont pas méchants mais semblent nés pour le pouvoir et entendent rester les meilleurs en tout"

"Serais-je ce pauvre type cultivant l'idée du déclin pour se persuader qu'il possède un passé?"

"D'un côté, fidèle à l'enseignement maternel, je partageais cette aspiration antibourgeoise, évangélique, égalitariste; mais simultanément, j'éprouvais une furieuse envie de goûter à tous les plaisirs de l'existence. Dès le début de mes études, je me suis efforcé de vivre comme le rentier que je n'étais pas. Sans en avoir les moyens (j'étais toujours fauché), j'ai commencé à prendre des taxis, à voyager en première classe, à dépenser mon argent pour le superflu plutôt que pour le nécessaire. Je voulais connaître le vrai confort, fréquenter les beaux décors, accéder à tous les milieux sans restriction morale. D'un côté, je galérais, je pianotais, j'écrivais, je noctambulisais et j'aimais cette vie périlleuse. De l'autre, j'aimer me faire inviter chez des gens haut placés. Au fil de la conversation, je glissais parfois une allusion à mon ancêtre président, comme pour dire: "Vous ne m'intimidez pas"; et ce détail biographique plaisait d'ailleurs beaucoup à mes hôtes, comme une carte du club. On aurait dit que j'avais toujours vécu dans ces salons confortables, ces jardins d'hiver, ces appartements de décorateurs.
Ainsi s'est précisé le mélange qui fait de moi un snob (j'aime être l'intime des stars, j'adore les belles demeures et les privilèges) et un garçon charmant, aussi heureux de prendre l'apéritif avec sa concierge. Obsédé par les apparences futiles (j'attache une extrême importance à ma place au théâtre. Suis-je dans la meilleure loge? au rang d'honneur?), je vois l'absurdité de mon propre snobisme. Ambitieux (j'aime être admiré, avoir du succès), j'ai horreur de parler de moi, autant que de me voir à la télévision. Egoïste (je ne pense qu'à mon plaisir, le sort de quiconque m'est indifférent), je suis sincèrement occupé des autres (d'un naturel attentif, je ne m'ennuie avec personne, j'aime questionner mon interlocuteur et le comprendre).
Sans ces contradictions, je me serais contenté de vouloir tout rattraper comme un gandin. Inscrit dans un club de golf, je m'habillerais de vêtements anglais, j'aurais une voiture décapotable et une villa à Etretat. Ma combinaison personnelle est un peu différente: elle sait que l'ordre social est plein de hasard, qu'aucune position, aucun titre n'a de valeur particulière; que les conventions étaient pesantes, qu'elles ont perdu leur sens à tout jamais... mais que cette perte fait aussi leur charme irrésistible."

"Selon cette scinece sociale oubliée, c'est la convention qui rend l'existence intéressante comme un morceau de théâtre. Le fait de porter des bijoux pour déjeuner, de se montrer aimable et souriant, d'être attentif aux autres et de s'exprimer clairement, tout cela donne une forme délectable au temps qui passe. Aller au musée, se promener dans les jardins publics, se retrouver à la messe le dimanche, prendre le thé, parler du dernier film ou du dernier roman: autant de mornes habitudes qui nous rappellent l'équilibre savant d'un ancien art de vivre. Même la fameuse hypocrisie bourgeoise devient une qualité quand elle consiste à masquer ses tourments, à laisser la part d'ombre dans l'ombre, plutôt que de donner le champ libre à la sincérité et aux conflits. Voilà toute une esthétique du quotidien que nous ne connaissons plus guère, depuis que nos vertus s'appellent franchise et naturel. Pourtant, le plus cruel de tableau de moeurs, peint par Feydeau ou Guitry, comporte cette sophistication rejouissante, appliquée à l'art de tromper sa femme ou son mari; comme si le savoir-vivre était là pour atténuer la brutalité de la vérité et du crime. En ce sens, le mensonge bourgeois marque un point admirable de la civilisation."

"Il m'a fallu des années pour comprendre que cet exécrable monde bourgeois avait curieusement engendré la plupart des artistes que j'aimais. Esprits libres, inventeurs, fantaisistes, presque tous provenaient de ce milieu parisien ou provincial parfois étriqué: Beaudelaire, Flaubert, Mallarmé, Verlaine, Valéry, Proust, Monet, Renoir, Degas, Cézanne, Matisse, Signac, Vuillard, Fauré, Debussy, Ravel (...) Rassemblés en groupes loufoques et provocateurs, les étudiants anticonformistes de la IIIeme République formaient eux-aussi une coalition d'enfants de bourgeois dressés contre leur classe, pour ce qu'elle avait de conventionnel et d'obtus (...) Un siècle plus tard, mon discours antibourgeois stéréotypé restait lui-même une manifestation de cet esprit bourgeois, dont l'une des qualités principales est d'avoir inventé la détestation du bourgeois.
Je ne connais pas d'autre exemple d'une classe sociale dont l'une des activités principales aura consisté dans cette impitoyable critique de soi. L'aristocrate n'a jamais montré tant de doute sur lui-même; et le monde ouvrier ou paysan exalte plus volontiers ses vertus, forgées dans la sueur et l'humiliation. Au contraire, la bourgeoisie a donné jour aux analyses les plus aigües du style bourgeois, du despotisme bourgeois ou de la morale bourgeoise. Elle a engendré les théories les plus hostiles à son propre pouvoir (chez le bourgeois Marx) comme à sa vertu sans taches (chez le bourgeois Freud); et ses enfants les plus brillants ont combattu sans relâche l'étroitesse d'esprit dont ils devaient s'affranchir pour déployer leurs talents d'artistes.
Pourtant, la plupart de ces esprits audacieux - même ceux qui dénonçaient l'exploitation du prolétariat, le colonialisme, l'hypocrisie morale et religieuse - ne rompaient guère avec les moeurs codifiées par la société bourgeoise. Les codes de la courtoisie et de l'habillement, les sorties, les divertissements (...). Lorsque certaint s'émancipaient de la "petite" bourgeoisie où ils étaient nés, c'était généralement pour entrer dans la "grande" plus fastueuse et plus tolérante (...).
Le seul discours de la révolte sociale peine donc à saisir la complexité d'un style de vie qui ne tenait pas seulement dans les rapports politiques, mais qui façonnait avec une belle liberté ses décors, ses moeurs, ses loisirs."

"Et, quand le soleil tombait, il me restait encore à confronter ce jeu social aux sensations intemporelles".

Sur Etretat - dernière phrase du livre:
"Tout en accomplissant les dernières brasses qui me rapprochent des bouées, je songe qu'ici - comme dans tout mon pays la France - l'histoire est un peu fatiguée, qu'elle ne joue plus aux avant-postes, comme au temps où quelques artistes avaient fait de ce hameaa de pêcheurs leur villégiature favorite. Planté au plus bel endroit de la côte, l'Etretat d'aujourd'hui a des allures médiocres. Mais derrière ce rivage de bric et de broc, se prolongent des histoires pleines de sous-entendus; et je ne connais rien de plus fascinant que ce mélange de beauté immuable et de transformation du monde."

samedi 7 août 2010

La ronde de nuit - Patrick Modiano

"Les traitres ont toujours le regard clair."

"Du soleil, tombent sur la place de grandes nappes de silence."

"D'un naturel méfiant, j'ai l'habitude de considérer les gens et les choses par leur mauvais côté pour n'être pas pris au dépourvu."

"J'ai éprouvé moi aussi ce qu'on appelle un grand sentiment. Profond. Impérieux. Le seul dont je puisse parler en connaissance de cause et qui m'aurait fait soulever des montagnes: la PEUR."

vendredi 6 août 2010

Dérives sur le Nil - Naguib Mahfouz

"D'une façon générale, le monde gardait son apparence naturelle; mais lorsque le charme du kif mêlé au café noir agirait, les choses changeraient. Des formes abstraites, cubistes, surréalistes ou fauvistes se substitueraient aux eucalyptus, aux acacias et aux plus belles des péniches. L'être humain, quant à lui, retournerait à l'ère des mousses..."

"Il n'y a plus d'histoire drôle depuis que notre vie est devenue elle-même une plaisanterie grotesque."

"Ce dont j'ai encore le plus peur, c'est que Dieu se lasse de nous!"

"-Vous vous désintéressez vraiment de ce qui se passe autour de vous ?
-Nous l'utilisons parfois comme matière à plaisanterie!"

"Comme la plupart des gens que je rencontre dans les soirées mondaines, il arbore un vernis de culture en même temps que des sentiments creux et chancelants, puant la misère et la décomposition."

"La terre attend sans impatience que nos espoirs et nos joies viennent fertiliser son sol."