dimanche 31 octobre 2010

Une éducation libertine - Jean-Baptiste Del Amo

"Quimper n'était ni plus ni moins qu'un héritage. Gaspard marchait vers la Seine comme on vient à la vie, dépouillé de toute expérience. Le sentiment de vide qui l'habitait précipitait en lui Paris toute entière, appelait la ville à le remplir. Gaspard n'éprouvait aucune crainte à se sentir ainsi imputé d'une partie de son être, juste un étonnement, une reconnaissance envers rien ni personne, le désir de s'offrir à la ville, d'être habité par elle. Paris était une chance inattendue, et Gaspard sentait couver la possibilité d'un nouvel horizon."

"Il crut aimer ce sentiment de solitude, trouva curieux qu'il fût possible de pénétrer une telle condensation d'humanité dans la plus grande indifférence."

"Jamais auparavant il ne s'était fixé de but à Quimper. Il n'avait eu qu'à se laisser porter par la succession morne des jours. Des jours psalmodiés dont il ne subsistait qu'un arrière-gout d'ennui. Soudain, Paris nécessitait de sa part une ambition, une visée quotidienne."

"Il lui apparut qu'il pouvait aussi se jeter dans le fleuve; enjamber la barrière serait enfantin et seul ce geste le séparait de sa mort. En un pas, il pouvait abréger l'ineptie de son existence, offrir une solution à un problème qui semblait insoluble. Et la portée de ce geste, son accessibilité élémentaire, ouvrit en lui un gouffre de tentation."

"Il se rappela que sa personne ne présentait aucun intérêt. Ce mépris interpela Gaspard et, venant d'un homme comme le Compte de V., provoquan en lui une ardeur à plaire, un désir de considération doublé d'une excitation occulte qui le déstabilisa. Il espéra en apprendre plus sur cet homme, s'aperçut être suspendu à l'attente de ses mots, guettant chacune de ses phrases à la recherche d'une résonance, mais aussi le moindre de ses gestes qui dévoilerait un peu de ce mystère. Cette autorité que la présence du Comte établissait d'emblée comme un droit sur l'atelier relevait du vertige."

samedi 30 octobre 2010

Antigone - Jean Anouilh

Antigone (à Ismène): "Comme cela doit être facile de ne pas penser de bêtises avec toutes ces belles mèches lisses et bien ordonnées autour de la tête."

Antigone (à Hémon): "Et serre-moi. Plus fort que tu ne m'as jamais serrée. Que toute ta force s'imprime dans moi."

Le choeur: "Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul. C'est cela qui est commode dans la tragédie. On donne le petit coup de pouce, pour que cela démarre, rien, un regard pendant une seconde à une fille qui passe et lève les bras dans la rue, une envie d'honneur un beau matin, au réveil, comme de quelque chose qui se mange, une question de trop qu'on se pose un soir... C'est tout. Après, on n'a plus qu'à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul. C'est minutieux, bien huilé depuis toujours. La mort, la trahison, le déserspoir sont là, tout prêts, et les éclats, et les orages, et les silences: le silence quand le bras du bourreau se lève à la fin, le silence au commencement quand les deux amants sont nus l'un en face de l'autre pour la première fois, sans oser bouger tout de suite, dans la chambre sombre, le silence quand les cris de la foule éclatent autour du vainqueur - et dont on dirait un film dont le son s'est enrayé, toutes ces bouches ouvertes dont il ne sort rien, toute cette clameur qui n'est qu'une image, et le vainqueur, déjà vaincu, seul au milieu de son silence...
C'est propre la tragédie. C'est reposant, c'est sûr... Dans le drame, avec ses traitres, avec ses méchants acharnés, cette innocence persécutée, ces vengueurs, ces lueur d'espoir, cela devient épouvantable de mourir, comme un accident. On aurait peut-être pu se sauver, le bon jeune homme aurait peut-être pu arriver à temps avec les gendarmes. Dans la tragédie on est tranquille. D'abord on est entre soi. On est tous innocents en somme! Ce n'est pas parce qu'il y en a un qui tue et l'autre qui est tué. C'est une question de distribution. Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a pas d'espoir, le sale espoir; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme des rats,avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier, - pas à gémir, non, pas à se plaindre, - à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien: pour se le dire à soi, pour l'apprendre, soi. Dans le drame, on se débat parce qu'on espère en sortir. C'est ignoble, c'est utilitaire. Là, c'est gratuit. C'est pour les rois. Et il n'y a plus rien à tenter, enfin!

Créon (à Antigone): "La loi est d'abord faite pour toi, Antigone, la loi est d'abord faite pour les filles des rois."

Créon (à Antigone): "Marie-toi vite, antigone, sois heureuse. La vie n'est pas ce que tu crois. C'est une eau que les jeunes gens laissent couler sans le savoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme tes mains, vite. Retiens-la. Tu verras, cela deviendra une petite chose dure et simple qu'on grignote, assis au soleil. Ils te diront tous les contraire parce qu'ils ont besoin de ta force et de ton élan. Ne les écoute pas. (...) Tu l'apprendras toi aussi, trop tard, la vie c'est un livre qu'on aime, c'est un enfant qui joue à vos pieds, un outil qu'on tient bien dans sa main, un banc pour se reposer le soir devant sa maison. Tu vas me mépriser encore, mais de découvrir cela, tu verras, c'est la consolation de vieillir, la vie, ce n'est peut-être tout de même que le bonheur."

Antigone (à Créon): "On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu'ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n'est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite -et que ce soit entier - ou alors je refuse! Je ne veux pas être modeste moi, et me contenter d'un petit morceau si j'ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd'hui et que cela soit aussi beau que qaund j'étais petite -ou mourir."

Le tigre blanc - Aravind Adiga

"Dès l'instant où vous reconnaissez ce qui est beau dans le monde, vous cessez d'être un esclave. Si vous enseignez l'art de la peinture à tous les garçons pauvres de l'Inde, ce sera la fin des riches."

"Cet après-midi, en roulant sur M.G. Road, l'avenue chic de Bangalore où s'aligne magasins américains et sociétés technologiques, j'ai vu les employés de Yahoo placer une nouvelle enseigne devant leur siège:
QUELLE EST LA TAILLE DE VOTRE AMBITION?
Pour montrer la mesure de la mienne, j'ai lâcher le volant et écarter largement les bras.
Grande comme une bite d'éléphant, connard!!"