mardi 11 juin 2013

La fascination du pire de Florian Zeller

Lu en Sardaigne en juin 2013

[structure très astucieuse avec un dernier chapitre qui neutralise toute critique possible, et notamment celle de faire de sous-Houellebecq]

"J'avais souvent vu M. Cotté intervenir à la télé au cours de différents débats politiques. Il avait des responsabilités "importantes" au sein de l'UMP. A plusieurs égard, il était l'incarnation parfaite de tout ce qui me dégoutait en politique: l'ignorance, la prétention et l'optimisme soigné. Mais je n'étais pas étonné d'apprendre qu'il était en train d'écrire un livre. Depuis plusieurs années, les hommes politiques écrivent tous leur livre (ou plus exactement le font écrire) pour retrouver un peu du prestige qu'ils perdent quotidiennement en tentant de séduire des abrutis. C'est l'épine la plus pénible d'une démocratie d'opinion: les politiques sont obligés d'aller faire les mariolles à droite ou à gauche, sur un plateau de télé ou sur un autre, pour essayer de démontrer qu'ils sont finalement très sympas et qu'on aurait tort de ne pas voter pour eux. Nous en sommes là. Alors forcément, pour ne pas se déconsidérer complètement, il est préférable de faire croire qu'on l'on s'intéresse encore à autre chose qu'à sa seule carrière; on se fait donc écrire un petit livre, on le signe impunément, et on retourne sans cravate sur les plateaux de télé pour essayer de se vendre une fois de plus - les hommes politiques sont devenus, par la force des choses, de simples prostituées qui n'amusent plus personne et qui bradent pauvrement leurs petites passes."

"Je suis resté un long moment à contempler la ville orientale du septième étage de l'hôtel et, sans raison véritable, je me suis dit que j'étais bien - si l'on appelle "être bien" cet état de relâchement de la conscience qui permet d'oublier ce qu'on a déjà vécu et qu'on ne manquera pas de revivre à nouveau."

"C'était vraiment une bonne nouvelle. Une de ces nouvelles qui vous font oublier, l'espace d'un instant, la certitude calme de l'inimportance de tout - et j'ai bu à ma santé."

"Les nuances, bien souvent, sont une façon de ne pas penser."

"Il rappela brièvement qu'une religion était avant tout un système d'explication du monde et qu'à cet égard, condamner l'une d'entre elles était un acte philosophique qui n'avait par définition par définition, rien à voir avec ceux qui y adhéraient. Parler de racisme dans son cas relevait d'un amalgame pur et simple et ne pouvait être le fait que de crétins en puissance et de croisés simplificateurs dramatiquement cons..."

"Je me suis souvenu de ce que Kundera avait écrit au sujet de [Rushdie]. Cette situation était unique dans l'histoire et renvoyait à une c onfrontation fondamentale entre plusieurs époques: "Par son origine, Rushdie appartient à la société musulmane qui, en grande partie, est encore en train de vivre l'époque d'avant les Temps modernes. Il écrit son livre en Europe, à l'époque des Temps modernes ou, plus exactement, à la fin de cette époque." De la même façon, ceux qui s'appliquent à étouffer de leurs bons sentiments la liberté de création, et qui sont malheureusement de plus en plus entendus, rejoignent par leurs préoccupations l'obscurantisme d'avant le triomphe de la raison. Pour Kundera, le roman est par essence l'oeuvre de l'Europe. Encore une fois, quand il dit "roman européen" il ne parle pas de ce qui a été créé en Europe par des Européens, mais de ce qui fait littérairement partie d'une histoire qui a commencé à l'auve des Temps modernes en Europe. Or il se trouve que cet art européen est par définition incompatible avec tout esprit religieux: car il est profanation par essence. Le roman est ce qui rend insaisissable tout ce qu'il touche et qui renvoie ainsi à l'ambigüité morale de l'homme et à la relativité fondamentale des choses. Ceux qui pensent détenir la vérité et n'admettent pas la contestation sont donc directement menacés par l'art du roman. Aussi ont-ils cruellement intérêt à le détruire. Avec Rushdie, c'est l'art du roman en tant que tel que l'imam voulait abattre."




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